Enregistrements au travail : preuve recevable ou non ?

Loyauté preuve

Pendant longtemps, la jurisprudence considérait qu’une preuve déloyale – obtenue à l’insu de l’autre partie ou par stratagème – devait être écartée. En droit du travail, cela signifiait par exemple qu’un enregistrement audio clandestin d’un supérieur hiérarchique, ou une vidéo captée sans autorisation, n’était pas recevable devant le conseil de prud’hommes.

Mais depuis deux arrêts retentissants de la Cour de cassation, les choses ont changé. Il est désormais possible, pour un salarié ou un employeur, de produire une preuve obtenue de manière déloyale, à certaines conditions strictes.

Un revirement de la Cour de cassation

La première évolution majeure est intervenue avec un arrêt d’Assemblée plénière du 22 décembre 2023 (n° 20-20.648). La Cour admet désormais que la preuve déloyale peut être recevable, au même titre que la preuve illicite, si deux conditions sont réunies :

  • la preuve est indispensable à l’exercice du droit à la preuve ;

  • l’atteinte qu’elle engendre est strictement proportionnée au but poursuivi.

Quelques semaines plus tard, la chambre sociale a prolongé cette logique dans un arrêt du 26 février 2025 (n° 22-18.179). Elle a validé la production par l’employeur de courriels extraits de la messagerie personnelle d’un salarié, pourtant protégée par sa vie privée, en considérant que cette atteinte était justifiée pour démontrer une violation de la clause de non-concurrence.

Concrètement : que peut-on produire comme preuve aujourd’hui ?

Pour les salariés, cela signifie qu’un enregistrement audio d’un échange tendu ou dégradant avec l’employeur peut être recevable, même s’il a été réalisé à l’insu de ce dernier. À condition, bien sûr, que le salarié puisse démontrer qu’il ne disposait d’aucun autre moyen pour prouver le harcèlement ou les faits invoqués.

De même, un employeur peut produire une vidéo filmée sans information préalable du salarié, ou des messages personnels consultés sur un outil professionnel, si cela est indispensable pour établir une faute grave ou une violation contractuelle.

Attention toutefois : cette recevabilité n’est pas automatique. Le juge doit toujours vérifier :

  • s’il existait un autre moyen de preuve moins intrusif ;

  • si la preuve litigieuse est réellement nécessaire à la défense ;

  • si l’atteinte aux droits de l’autre partie est proportionnée.

Les limites à ne pas franchir

Certaines preuves restent en principe exclues. C’est le cas notamment :

  • des éléments couverts par le secret professionnel, comme les échanges entre un avocat et son client ;

  • des preuves obtenues par manœuvre ou tromperie manifeste (ex : usurpation d’identité, faux documents, stratagème organisé pour piéger l’autre partie).

En revanche, la simple circonstance que l’enregistrement ait été réalisé sans en informer l’autre partie ne suffit plus à justifier son rejet.

Nos conseils pratiques

Pour sécuriser l’usage d’une preuve litigieuse, quelques bonnes pratiques s’imposent :

  • limiter l’enregistrement ou la captation aux seuls faits pertinents pour le litige ;

  • conserver l’intégralité de l’élément original (et éviter tout montage) ;

  • anticiper la contestation en expliquant, dès l’introduction de l’instance, pourquoi cette preuve était nécessaire.

Enfin, dans certains cas, il est préférable de recourir à des moyens classiques : constat d’huissier, article 145 du Code de procédure civile, attestations ou courriels permettent souvent d’éviter un débat sur la recevabilité de la preuve.

En résumé

La loyauté de la preuve n’est plus un obstacle absolu en matière prud’homale. Mais cette évolution appelle à la prudence : la production d’un enregistrement ou d’une vidéo reste encadrée par des exigences strictes, et le juge conserve un large pouvoir d’appréciation.

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