La clause de non-concurrence : entre liberté professionnelle et protection de l’entreprise

non-concurrence

Lorsqu’un contrat de travail prend fin, le principe est celui de la liberté totale pour l’ex-salarié de poursuivre son activité où bon lui semble. Pourtant, certaines fonctions exposent l’employeur à un risque réel : accès à la stratégie commerciale, savoir-faire exclusif, relation privilégiée avec la clientèle. Pour prévenir ce danger, les parties peuvent prévoir une clause de non-concurrence, mesure exceptionnelle car elle restreint une liberté constitutionnelle.

Objectif et intérêt légitime

La clause n’est admise que si elle répond à un intérêt légitime. Autrement dit, il faut démontrer que l’activité du collaborateur, par sa technicité, la nature des informations manipulées ou l’influence qu’il exerce sur la clientèle, pourrait porter atteinte à la compétitivité de l’entreprise après son départ. La Cour de cassation refuse toute application automatique à une catégorie de personnel ; elle exige un examen individualisé de la fonction occupée (Cass. soc., 14 févr. 1995, n° 93-43.898 ; Cass. soc., 19 nov. 1996, n° 94-19.404).

Les quatre conditions cumulatives de validité

Depuis ses trois arrêts fondateurs du 10 juillet 2002 (Cass. soc., n° 99-43.334, 99-43.335 et 99-43.336), la chambre sociale impose que la clause :
– protège l’intérêt légitime de l’entreprise ;
– soit limitée dans le temps ;
– soit limitée dans l’espace, qu’il s’agisse d’un périmètre géographique ou d’un secteur d’activité clairement défini ;
– prévoie une contrepartie financière réelle.

La moindre défaillance rend la clause nulle, seul le salarié pouvant alors s’en prévaloir (Cass. soc., 28 févr. 2024, n° 21-20.963).

Limitation temporelle et spatiale : la “juste dose”

Aucune durée maximale n’est posée par la loi. Les juges raisonnent in concreto : un coiffeur ou un ingénieur spécialisé sera souvent soumis à une interdiction d’un an concentrée sur la zone où il exerçait, alors qu’un cadre dirigeant pourra accepter une interdiction sur tout le territoire français si elle ne dépasse pas quelques mois. À l’inverse, la clause de dix ans a été admise lorsque l’interdiction ne visait qu’une entreprise directement concurrente située dans la même ville (Cass. soc., 21 oct. 1960, n° 59-40.160). Si l’étendue est jugée excessive, le juge peut en réduire la portée au lieu d’annuler la clause (Cass. soc., 18 sept. 2002, n° 00-42.904).

Contrepartie financière : indemniser la restriction

Parce qu’elle limite la liberté professionnelle, la clause doit être “rémunérée”. Le versement intervient après la rupture, le plus souvent mensuellement, afin de cesser si l’intéressé ne respecte plus son engagement. La jurisprudence qualifie de dérisoire un taux avoisinant 10 % du salaire et annule la clause dans ce cas (Cass. soc., 15 nov. 2006, n° 04-46.721). En pratique, les accords de branche oscillent entre un tiers et la moitié de la rémunération brute moyenne. L’indemnité doit être identique quel que soit le mode de rupture ; toute minoration en cas de démission ou de faute grave est prohibée (Cass. soc., 25 janv. 2012, n° 10-11.590 ; Cass. soc., 8 avr. 2010, n° 08-43.056).

Mettre fin à la clause : la renonciation contrôlée

L’employeur peut vouloir lever l’interdiction pour échapper au coût de la contrepartie, mais il ne le peut que dans les conditions prévues par la clause ou la convention collective. La renonciation doit être expresse, notifiée au plus tard le jour du départ effectif du salarié lorsque celui-ci est dispensé de préavis (Cass. soc., 13 mars 2013, n° 11-21.150 ; Cass. soc., 21 janv. 2015, n° 13-24.471). Les clauses dites « en sommeil », qui laissent planer l’incertitude après le commencement d’exécution de l’obligation, sont nulles (Cass. soc., 13 juil. 2010, n° 09-41.626). La même exigence s’applique en cas de rupture conventionnelle : renoncer avant la date convenue de rupture, sous peine de devoir l’indemnité (Cass. soc., 26 janv. 2022, n° 20-15.755).

Conséquences de la nullité

Lorsque la clause est déclarée illicite – absence de contrepartie, périmètre flou ou durée excessive –, le salarié recouvre sa pleine liberté et conserve les sommes perçues, sauf preuve qu’il a violé la clause avant l’annulation, auquel cas l’employeur peut en réclamer le remboursement à partir de la date de la violation (Cass. soc., 22 mai 2024, n° 22-17.036).

Sanctions de la violation

Un salarié qui transgresse son engagement risque l’injonction de cesser ses activités, des dommages-intérêts, voire l’exécution d’une clause pénale si celle-ci figure au contrat, le juge restant libre d’en réduire le montant s’il la juge disproportionnée (C. civ., art. 1231-5 ; Cass. soc., 14 févr. 2024, n° 22-17.332). Le nouvel employeur averti de la clause engage également sa responsabilité civile.

Bonnes pratiques de rédaction

La sécurité repose sur un texte clair : définir précisément l’activité interdite, calibrer durée et périmètre au risque réel, fixer une indemnité proportionnée, encadrer la faculté de renonciation et vérifier la convention collective applicable. Faute de quoi l’entreprise se prive d’un outil efficace et s’expose à un contentieux coûteux.

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