Dans le monde du travail, l’apprenti n’est pas un « salarié au rabais ». Lorsque l’employeur manque gravement à ses obligations – formation effective, sécurité, paiement du salaire, respect des horaires, etc. – l’apprenti peut prendre acte de la rupture : il rompt immédiatement le contrat et demande ensuite au conseil de prud’hommes de constater que la rupture s’analyse en licenciement sans cause réelle et sérieuse. Si les griefs sont prouvés et suffisamment graves, il obtient : salaires jusqu’au terme normal du contrat, indemnité pour licenciement injustifié, dommages‑intérêts, voire garantie AGS si l’entreprise est en difficulté. Dans le cas contraire, la prise d’acte est requalifiée en démission.
Pourquoi (et quand) prendre acte ?
La prise d’acte est un ultime recours : elle suppose que les manquements de l’employeur rendent impossible toute poursuite du contrat malgré la médiation obligatoire (depuis la réforme 2018) et les démarches internes. Elle se matérialise par une lettre recommandée détaillant les griefs ; la date de réception vaut rupture.
Exemples de manquements reconnus par les Cours d’appel
- Absence totale de formation ou de maître d’apprentissage : l’apprentie, laissée sans encadrement et menacée de licenciement, voit sa prise d’acte requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse (CA Montpellier, 27 mai 2025).
- Harcèlement moral et pressions quotidiennes : reproches constants, mise à l’écart, menaces ; la cour confirme la prise d’acte et condamne l’employeur (CA Pau, 20 juin 2024).
- Heures supplémentaires non payées, dépassement des durées maximales : travail régulier au‑delà de 40 h, fiches de paie incomplètes ; la prise d’acte est justifiée (CA Toulouse, 10 janv. 2025, puis CA Aix‑en‑Provence, 14 mars 2025).
- Retard chronique de salaire et documents de fin de contrat manquants : versements tardifs, absence d’attestation Pôle emploi ; le juge assimile la prise d’acte à un licenciement (CA Saint‑Denis de La Réunion, 17 oct. 2024).
- Classification erronée et rémunération sous‑évaluée : chef de chantier payé comme chef d’équipe, heures de repos non prises ; la cour accorde rappels de salaire et indemnités (CA Grenoble, 10 fév. 2022).
- Manquements à la santé/sécurité ou discrimination liée à l’état de santé : absence de visite médicale, sanctions après arrêts maladie ; la prise d’acte produit les effets d’un licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse (CA Lyon, 10 janv. 2025 et CA Aix‑en‑Provence, 2 févr. 2024).
Comment préparer une prise d’acte
Idéalement, faites vous accompagner pour ces démarches dès le départ par un avocat. La procédure étant loin d’être simple et se terminera nécessairement par un procès en Justice :
- Faites constater les manquements (mails, attestations, plannings, feuilles de paie, rapports CFA, certificats médicaux).
- Saisissez d’abord le médiateur de l’apprentissage (obligatoire au‑delà des 45 premiers jours) ; conservez l’accusé de réception.
- Rédigez la lettre de prise d’acte : date, contexte, faits précis, articles invoqués. Envoyez‑la en LRAR.
- Saisissez le conseil de prud’hommes sous 12 mois : joignez un chiffrage détaillé (salaires restants, indemnités « barème Macron », congés, dommages‑intérêts, article 700).
Effets juridiques possibles
Si le Conseil de prud’hommes reconnaît que la prise d’acte est justifiée, l’apprenti percevra une indemnité pour licenciement injustifié, indemnité de préavis, indemnité de licenciement ou indemnité spécifique article L 1235‑3‑1 C. trav.
Dans la situation contraire, la prise d’acte sera qualifiée de démission : aucune indemnité et aucune prise en charge par le Pôle emploi. Il s’agit donc d’une procédure risquée.